Une abeille isolée ne survit pas longtemps. L’organisme véritablement autonome n’est pas l’abeille, mais la colonie, l’essaim constitué d’une reine, d’un grand nombre d’ouvrières (de quelques milliers à 80 000) et durant la belle saison de faux bourdons dont le principal rôle est la reproduction. Les ouvrières explorent un rayon de trois kilomètres autour de leur ruche, parfois plus en cas de disette, où elles récoltent de précieuses substances végétales : nectar, pollen et propolis. Elles sont donc végétariennes et très sélectives quant à la qualité de leur récolte, qu’elles transforment avant de l’entreposer dans la ruche. Quant aux faux bourdons ils peuvent parcourir plus d’une dizaine de kilomètres et, contrairement aux abeilles, passer d’une ruche à l’autre.
Les abeilles sont extrêmement sensibles à tout ce qui est toxique dans leur environnement immédiat (contaminants, pesticides, OGM, ondes magnétiques, monocultures, etc.). La ruche est un bio-indicateur qui en dit long sur l’état de l’environnement et plus généralement de la planète. Car avec la globalisation des échanges, aujourd’hui, toutes les ruches deviennent interconnectées.
Il n’existe pas d’abeille mellifère indigène dans les Amériques, en dehors de la Mellipona, l’abeille « aux yeux bleus » de l’Amérique tropicale, une petite abeille qui était sacrée chez les Mayas, qui ne pique pas et qui produit en petites quantités un extraordinaire miel médicinal. Nos abeilles mellifère sont principalement des italiennes,des carnioliennes ou des abeilles noires originaires d’Europe. Au Québec et dans les pays nordiques, les abeilles ne peuvent survivre à long terme, surtout en hiver, en dehors d’un rucher où l’apiculteur leur fournit nourriture et protection. Dans nos pays, l’abeille est domestiquée et l’apiculture nécessairement plus ou moins artificielle. Mais l’équilibre entre l’abeille et l’humain est devenu fragile.
Depuis quelques décennies nos abeilles se portent mal. Au début des années 2 000 un parasite venu de Chine, le varroa, a décimé les ruches du Québec (qui sont passées de plus de 100 000 à 30 000, avec des pertes d’environ 30% hiver après hiver). Les ruchers ont été repeuplés, en 2011 il y avait plus de 41 000 ruches enregistrées au Québec (près de 58 000 en 2018), mais les pertes hivernales restent anormalement élevées. L’hiver 2017-2018 fut d’ailleurs particulièrement critique pour la survie des abeilles. Les pertes hivernales officielles s’élevaient à 50% en Ontario et à 30% au Québec (mais on peut estimer que la méthodologie moins précise au Québec sous-estimait ces pertes qui pourraient ressembler à la situation ontarienne). Des virus et des maladies jusqu’à récemment inconnues, comme le nosema ceranae, sont apparus. On annonce l’arrivée imminente du petit coléoptère de la ruche importé par mégarde d’Afrique du Sud et déjà présent en Ontario et en Nouvelle Angleterre. Le syndrome d’effondrement des ruches (CCD, colony collapse disorder) – les ruches étant totalement désertées par les abeilles – constitue toujours pour certains scientifiques une énigme. Il est toutefois de plus en plus admis que les principaux responsables de cette crise sont les pesticides systémiques, en particulier les néonicotinoïdes utilisés dans de nombreuses cultures, surtout le maïs, le soya, le canola et de plus en plus dans certaines productions maraîchères et fruitières. Pour l’apiculteur certifié biologique, la surveillance du territoire qui entoure son rucher est une constante préoccupation.
La multiplication des agressions subies par les abeilles fait que les colonies atteignent le point de rupture. La dégradation de l’environnement, les nombreux éléments toxiques qui y sont présents et les méthodes parfois violentes de l’apiculture industrielle rendent impossible la survie de l’abeille.
À notre rucher, nous avons démontré qu’il est possible de pratiquer l’apiculture de façon écologique, et d’obtenir des résultats au dessus des moyennes en réduisant au minimum les stress subis par les abeilles. Ainsi, avec beaucoup de soins et avec des méthodes douces, dans un environnement sain et diversifié, nos pertes hivernales sont nulles ou infimes (0% en 2010-11, 2012-13, 2013-14, 2014-15 et 2015-16 et en 2018-19,3% en 2011-12, 2016-17 et 2017-18), et nos récoltes sont généralement de plus du double de la moyenne québécoise. Il est possible de maintenir et de développer nos ruchers, de les garder en santé, mais pour cela il faut à notre avis remettre en question les méthodes de production industrielles, standardisées et énergivores. Les abeilles ne supportent pas d’être traitées comme du bétail.